>>> Index (Home) <<< Litte(rature)

L'amour est un chien de l'enfer, tome 1- Charles Bukowski

PIÉGÉ


ne déshabillez pas mon amour
vous risqueriez de trouver un mannequin ;
ne déshabillez pas le mannequin
vous risqueriez de trouver
mon amour
 
elle m'a oublié
depuis belle lurette.
 
elle est en train d'essayer un nouveau
chapeau
et paraît plus
coquette
que jamais.
 
c'est une
enfant
et un mannequin
et
la mort.
 
je ne peux pas haïr
une telle chose.
 
elle n'a rien
fait
d'inhabituel.
 
or je voulais
qu'elle le fasse.


 


PIÉGÉ


un chien blessé
heurté par une voiture et qui se traîne
vers le trottoir
hurlant à la
mort
et devant tant de sang
qui coule de sa bouche et de son cul
vous frissonez.
 
je n'en crois pas mes yeux mais
je continue à rouler
comme si j'allais descendre le chercher
pour m'en occuper
m'occuper de ce chien agonisant sur Arcadia
sur un trottoir
alors que son sang s'infiltrerait
de partout, mouillant ma chemise,
mon pantalon, mon caleçon,
mes chaussettes, mes chaus-
sures. mais c'est juste
une velléité.
qui plus est, je songe au numéro 2
dans la première course
et j'essaie de deviner ce que ça donnerait
combiné avec le 9
dans la deuxième. c'est une journée
à me rapporter
140 $
du coup j'abandonne à sa solitude
ce chien agonisant
quasiment en face
du centre commercial
où les dames chic
s'amusent à marchander
tandis que le premier flocon
de neige tombe sur
la Sierra Madre.


 


SEUL AVEC TOUT LE MONDE


la chair recouvre les os
et ils y mettent un cerveau et
parfois une âme,
et les femmes jettent
les vases contre les murs
et les hommes boivent beaucoup
trop
et personne ne trouve
son pendant
mais tous gardent
un espoir
rampant d'un lit
à l'autre.
la chair recouvre
les os et la
chair cherche
plus cher
que la chair.
 
il n'y a aucun
salut :
nous sommes tous
soumis
à un destin singulier.
 
personne ne trouve
son pendant.
 
la ville se remplit d'ordures
les dépotoirs se remplissent
les asiles se remplissent
les hôpitaux se remplissent
les cimetières se remplissent
ce sont bien les seules choses
qui se remplissent.
 


 


QUAND JE PENSE A MA PROPRE MORT


je pense à des voitures garées dans
un parking
 
quand je pense à ma propre mort
je pense à des poêles à frire
 
quand je pense à ma propre mort
je pense à quelqu'un te faisant l'amour
en mon absence
 
quand je pense à ma propre mort
j'ai de la peine à respirer
 
quand je pense à ma propre mort
je pense à tous les autres qui attendent la leur
 
quand je pense à ma propre mort
je pense que je ne pourrai plus
jamais boire de l'eau
 
quand je pense à ma propre mort
l'air devient tout blanc
 
et les cafards dans la cuisine
se mettent à trembler
et quelqu'un devra jeter
mes sous-vêtements propres ou sales
à la poubelle.


Charles Bukowski (1920 -1994), paru en1977

back