Passages - Henri Michaux
(extraits)
Chacun est extraordinaire.
Il est seul à s'en apercevoir. Découragement ! Enfin, il finit
par s'y faire... puisque personne d'autre que lui ne le remarque.
Mais voilà que dix, quinze ans passent et quelqu'un d'autre, également, le trouve extraordinaire. Merveille. Être aimé. Et l'autre aussi, comme c'est étrange, justement l'autre aussi est extraordinaire, unique, vraiment unique. On n'eût pu l'imaginer... et elle est, naturellement, belle, mais surtout unique, unique.
Amour ! Il est soulagé du poids de sa personne, du poids de sa vie, de ses journées, de ses occupations et soulagé de la propriété à la fin lassante de sa personne.
Quelle merveille ! Qu'est-ce qui ne va pas arriver ? Plus rien n'est impossible. Il atteint sans effort le haut du monde.
Dans la suite, tout d'un coup, ce poète souvent doit apprendre beaucoup de prose...
Quand vous avez mal, il ya la souffrance du mal, il y a aussi le déséquilibre. Trouvez donc un deuxième mal, un qui s'y oppose, comme un deuxième seau à porter. Quand on vous torture une deux, vous pincer le bras. Quand on vous incise le pouce, vous mordre la langue. Ce ne sont que petites tentatives d'instinct. Une bone étude des souffrances équilibrantes n'a pas été faite, que je sache. Il y a pourtant déjà quelques temps que l'humanité souffre.
Pour les souffrances morales, il y a un peu plus d'instructions dans ce sens ! Quoiqu'il y ait des sots qui cherchent à un malheur le contrepoids non d'un autre malheur, mais du bonheur !
Henri Michaux (1899-1984),
publié en 1963