" Faut-il dire la vérité
aux malades incurables ? "
Travail réalisé dans le cadre du séminaire de Bioéthique 1997 de la Faculté Notre-Dame de la Paix de Namur, ayant pour thème " Qualité de vie et vie finissante"
Réalisation du travail:
BOLLY A., DAL S. ( email ), DELAVALLEE M., FRANCART J.
à l'époque : étudiants en 3ème candidature en médecine aux Facultés Notre Dame de la Paix de Namur.
Table des matières - hypertexte
I. INTRODUCTION.
II. LE POINT DE VUE SCIENTIFIQUE
A. le cancer.
1. la maladie
2. Thérapies.
3. Signification du mot " cancer ".
III. LE POINT DE VUE JURIDIQUE / DEONTOLOGIQUE
IV. LE POINT DE VUE PSYCHOLOGIQUE
A. Comment ?
1. Le savoir.
2. Le savoir-être.
B. Qui ?
C. A qui ?
I. Le patient
2. La famille.
D. Réactions.
A. Le respect de l'autonomie du malade.
B. Le maintien d'une relation de confiance, authentique, réciproquement loyale.
C. La participation à la lutte contre la maladie.
D. La possibilité de structurer son expérience.
VI. CONCLUSION
Corps du travail
" Faut-il dire la vérité aux malades incurables ? " Question revenant sans cesse, que ce soit dans les conversations entre médecins, entre membres d’une famille ou entre médecin et famille. Pourquoi aborder celle-ci dans le cadre de ce séminaire, dont le thème est " Qualité de vie et vie finissante " ?
Premièrement, parce que cette question est centrale. En effet, dire à quelqu’un que ses jours sont comptés, qu’il n’y a plus aucune thérapie pour lui, c’est admettre l’impuissance de la médecine curative et passer le relais aux soins palliatifs ou envisager l’euthanasie. Ne pas dire, c’est s’engager sur la voie de l’acharnement thérapeutique ou des traitements " cosmétiques ".
Deuxièmement, parce que cette question est vicieuse, car mal posée. On ne peut en effet y répondre, sous cette forme que par oui ou par non. Ainsi, en compulsant la littérature, on se trouve souvent confronté à des positions assez campées : ne rien dire / tout dire.
Le premier de ces deux camps reprend et amplifie l’aphorisme hippocratique : " Primum non nocere "
Faut-il ainsi suivre Roger Spithakis, qui nous dit :
"La vérité n'est pas sans danger pour de nombreux malades qui n'ont pas l'âme forte. Dans l'esprit de ces âmes sensibles, le cancer est synonyme de mort, ce qui crée en eux une angoisse irrationnelle, un état d'excitation ou d'abattement empêchant toute pensée et toute action, coupant l'appétit ou le sommeil, rendant toute jouissance impossible, et provoquant parfois le suicide"
et qui conclut, sauf exceptions assez rares que
"le mieux est de cacher la vérité"
Le second camp, même s’il admet qu’il n'est pas agréable d'être un oiseau de mauvaise augure (dans l'Antiquité, on coupait la tête aux messagers qui annonçaient à une cité la défaite de son armée), se prononce en faveur d’une vérité totale, nue, crue.
Certains vont jusqu'à reprendre la parole de Jésus : " La vérité vous affranchira " (Jean 8 :32)
Et parfois, au mépris de la personnalité du patient. Citons L.Schwartzenberg : " Qu’est-ce qui nous donnait le droit de décider que la jeune femme apparemment frivole ne serait pas aussi capable qu’une autre d’affronter les portes qui ferment derrière elle une existence factice ? (...) Si cela devait les changer en eux-mêmes, enfin, parce que prenant tout d’un coup conscience qu’ils pouvaient mourir, ils devenaient des êtres mortels, des êtres humains vivants qui ont commencé à penser la mort ? Qui nous dit qu’ils en soient incapables ? Et que malgré leur angoisse même ils ne le souhaitent pas ? "
Et pourtant, il nous a semblé au cours de la réalisation de ce travail que la vérité ne se trouvait ni dans la première ni dans la seconde position, ni même à mi-chemin (casuistique), mais sur une autre voie.
Nous chercherons ce qui se cache derrière cette " vérité ", qui se targue parfois d’un V majuscule. Cela nous amènera à nous poser la question de savoir si finalement, ce n’est pas " Comment dire ?" , " Quelle relation créer pour dire ?", plutôt que " dire ou ne pas dire ?" qui importe.
Troisième élément qui nous a motivé à réaliser ce travail : le fait que celui-ci puisse servir de base pour une réflexion plus large, hors des contraintes du séminaire. Le travail contient en effet de nombreux éléments non directement liés à l’incurabilité, mais également applicables aux situations quotidiennes d’information du patient qui nous attendent tous, nos études terminées. Pourvu qu’il puisse être un point de départ pour une amélioration continue des relations avec nos futurs patients.
" La maladie est plus qu’un corps véhicule de symptômes, plus qu’un rôle à assurer temporairement, plus qu’un simple comportement, elle est un mode de vie, un acte de communication, une occasion de dire et faire le sens de sa vie et de sa mort "
Toutes les maladies graves n’ont pas les mêmes déroulements, les mêmes conséquences physiques et psychologiques, ni la même durée. Certaines se déclarent subitement, d’autres progressivement. Elles peuvent évoluer lentement ou rapidement, foudroyer le malade et ses proches ou se prolonger. Les maladies dégénératives sont plus ou moins invalidantes physiquement et psychologiquement. Certaines maladies terminales mutilent le corps, alors que d’autres le transforment peu ou pas du tout. Le degré de souffrance mentale ou physique provoqué par la maladie varie énormément d’un patient à l’autre. La diversité des symptômes et des plaies peut aussi être problématique. Les soins diffèrent grandement, allant des techniques de pointe constamment appliquées et rajustées de jour en jour, à la simple présence et aux soins de confort.
Le temps présente des aspects particuliers selon le genre de maladie : le temps qui reste à vivre au malade, le temps alloué aux soins, aux traitements et aux visites à l’hôpital, à l’accompagnement ; le temps de se retourner, de s’organiser, de se préparer à l’éventualité de la mort ; le temps réservé aux besoins de la famille, etc. Chaque type de maladie entraîne donc en lui-même des répercussions physiques et psychologiques particulières, tant chez le malade que dans son entourage.
Dans le cadre du séminaire de bioéthique qui nous est proposé, et dont le thème est " Qualité de vie et vie finissante ", nous nous intéresserons spécifiquement aux maladies incurables ayant une dimension de mort proche, et dans le cas desquelles il y a une urgence à résoudre certains problèmes. Les cas de diabète, de cécité, de problèmes congénitaux, etc. qui soulèvent eux aussi de graves questions seront ici éludés.
Il peut être utile, avant de poursuivre, de définir les notions d’incurabilité et de maladie terminale :On peut qualifier d’incurable une maladie sur laquelle la médecine n’a plus de prise thérapeutique, en ceci qu’elle ne peut pas la guérir. Les seules actions envisageables sont de type à ralentir son évolution ou à assurer les soins vitaux et le bien-être du patient.
On peut distinguer les maladies incurables pour lesquelles il reste de longues années à vivre au patient, qui n’est pas inquiété actuellement ; et le stade incurable d’une maladie ayant évolué.
De façon assez semblable, Raymond G.Carey, dans le cadre des maladies incurables, définit la maladie terminale, comme entraînant la mort probable en moins d’un an si l’état morbide se prolonge, tout en n’ayant pas de remède connu à cet état.
Avant d’aborder les problèmes juridiques, psychologiques et éthiques, voyons de plus près comment un scientifique, un médecin voit une de ces maladies incurables qui nous intéressent. Nous prendrons comme exemple le cancer, et nous dirons un mot sur le SIDA et la maladie de Huntington
Les cancers sont connus depuis l’Antiquité, mais on ne sait encore que peu de choses sur leurs causes, leur mécanisme et de leur fonctionnement. L’American Cancer Society définit cette maladie comme un vaste groupe de pathologies caractérisées par la croissance et l’extension de cellules anormales. Il existe plus de 100 affections différentes regroupées sous cette dénomination.
Les tableaux ci-joints montrent respectivement la fréquence relative des principales localisations des cancers, puis leur taux de mortalité pour l’ensemble du Québec en 1981. Des données plus récentes montrent des tendances similaires. Le cancer de l’épiderme est le plus répandu, mais il n’est pas responsable du plus grand nombre de décès. Chez l’homme, en Amérique du Nord, le cancer du poumon est le plus meurtrier, alors que chez la femme, c’est le cancer du sein.
La plupart des chercheurs s’entendent toutefois pour affirmer que le cancer du poumon deviendra sous peu la principale cause de décès par cancer chez les deux sexes ; fait qui serait attribuable à l’augmentation de la consommation de cigarettes chez les femmes. Lorsque l’on veut évaluer si les taux de mortalité attribuables au cancer ont bel et bien augmenté au cours des dernière décennies, il faut considérer, dans l’interprétation des statistiques, des facteurs tels que la précision croissante des méthodes de diagnostic, l’incidence grandissante des cancers dont les causes relèvent de substances cancérigènes dans l’environnement, la place de la prévention et du dépistage précoce, les succès réels des méthodes thérapeutiques pour certains cas de cancer, et aussi le vieillissement de la population, considérant que l’incidence de cette maladie croît avec l’âge. Le stress et certaines habitudes de vie apparaissent à la base de la genèse de la majorité des cancers, comme le reconnaît l’Organisation Mondiale de la Santé.
Face au cancer, quelles sont les actions qui peuvent être entreprises par le corps médical ?
Signification du mot " cancer ".
" Les représentations de la maladie sont ces associations et/ou perceptions hétérogènes qui sont présentes entre autre dans la parole des soignants et des soignés et qui permettent à tous de se faire une image mentale de la réalité de la maladie. " (Francine Saillant)
Au cours des siècles, en Occident, les perceptions à propos du cancer sont longtemps demeurées les mêmes. En effet, aussi bien chez Hippocrate que chez Galien, et avant eux, chez les Egyptiens, le cancer est associé à l’idée d’un mal intérieur et incurable. Egalement, toutes les maladies ayant l’apparence, au mieux de l’ulcération, au pire, de la pourriture, sont considérées comme des cancers. Les perceptions contemporaines rejoignent encore ces idées de mal intérieur, de mal qui ronge, de mal incurable. Par contre, les idées de contagion et de saleté, encore très présentes il y a quelques années, sont quasi inexistantes.
Une autre manière d’aborder le cancer est de considérer la maladie comme un symbole, qui relève aussi de l’imagerie mentale, comme la représentation, mais plus chargé de sens et fortement ancré au plan collectif. Historiens et anthropologues de la maladie nous ont appris que chaque époque, chaque culture cristallise dans une maladie donnée son angoisse de mort, et sa conception du mal. Le cancer, dans l’Occident du XXème siècle, a remplacé les maladies symboles de mort d’époques antérieures, comme la lèpre, la peste et la tuberculose. Ainsi, soignants, soignés et le contexte social général ont associé l’expérience de la mort à l’expérience du cancer. La politique de lutte contre le cancer, instaurée dès le début des années 70 (le début de l’oncologie) aux Etats-Unis tout particulièrement, a permis que peu à peu se transforme cette idée. Le cancer est devenu le symbole de la lutte contre la maladie chronique et la mort à travers le discours sur l’espoir et la cure possible. Plus récemment, le SIDA est venu remplacer le cancer comme symbole de mort.
Ce sens du mal ne va pas de soi, il correspond à une construction sociale. Ainsi s’explique la disparité criante du comportement des hommes face au cancer, et face à des accidents cardio-vasculaires graves. Les maladies cardiaques sont l’objet d’une préoccupation sérieuse de la part de la population, tandis que le cancer inspire la peur.
Un Canadien sur trois associe la mort au cancer. Dans un sondage, on a demandé à la population ce qui effraie les gens lorsqu’ils attendent pour consulter un médecin, une fois qu’ils ont identifié ce qu’ils croient être un signe de cancer. La réponse de loin la plus fréquente (54%) fut celle de la peur de la mort. Les autres réponses étaient la peur qu’on leur dise la vérité (18%), la peur de la douleur (16%), la peur des opérations (12%), la peur des médecins (6%), la peur d’être défiguré (5%), la peur des hôpitaux (5%). De plus, seulement 7% des Canadiens croient que le cancer peut toujours être guéri, 75% croient qu’il peut l’être parfois, et 17% affirment qu’il ne peut l’être en aucun cas.
L’usage du mot cancer est l’objet d’un certain interdit. En effet, ce mot, étant donné ses connotations et les charges affectives inhérentes à ce qu’il évoque, sera le plus possible évité de tous. On parlera plus facilement de tumeur que de cancer. Les médecins disent toutefois qu’ils l’utilisent lorsqu’ils ont à clarifier le diagnostic ; mais n’insistent pas pour l’utiliser. Comme le dit Lucien Israël, il apparaît que dire à un patient : " Vous avez un cancer " c’est même dire bien plus que " vous avez une maladie grave ", et c’est même dire, à la limite, que : " vous avez une maladie potentiellement mortelle ". Dans le contexte culturel qui est le nôtre, du moins en Europe, c’est lui voler son âme, le promettre à l’enfer, c’est lui infliger le traumatisme ultime. Les médecins se sont refusés jusqu'à présent, à dire la vérité nue. Au contraire, les médecins américains, lesquels, pour des raisons qui ne sont pas toutes pures, livrent la vérité sans ambages à leurs patients et leur laissent digérer la nouvelle. Ces médecins en effet, vivent sous la menace de procès intentés pour mauvaise thérapeutique. Il leur faut donc justifier toute démarche thérapeutique, obtenir le consentement du patient, discuter leurs choix, et tout cela ne peut être fait qu’au prix d’une vérité quasiment totale. Ceux-ci ont expliqué que les relations avec leurs patients et leur famille s’en trouvaient améliorées et qu’ils livraient la vérité même s’ils n’étaient nullement contraints. Il est vrai que l’éventualité de la mort est autrement acceptée par les Américains que les Européens, mais on rencontre cependant des détresses sans recours dans un cas comme dans l’autre.
Trois grandes classes de mots sont utilisées pour parler du cancer : chacune correspond à une image bien précise que le patient se fait de la maladie. Francine Saillant nous décrit ces trois classes :
En conclusion, on peut donc dire que, ce que le patient appelle cancer correspond davantage à la phase terminale qu’à la phase curative. Pour cela, le médecin devra ajuster son langage en fonction du stade de la maladie.
" Freud écrit quelque part que l’inconscient se croit immortel, c’est probablement vrai, sauf de l’inconscient des cancéreux. " nous rappelle Lucien Israël.
La tendance actuelle, introduite surtout par le milieu médical est de faire du cancer une maladie " comme les autres ", puisqu’on peut lui survivre, bien qu’elle manifeste toujours la présence de la mort. Une telle ambivalence est liée au temps, à la nature de la maladie ; à l’état de la médecine, toujours incertaine de l’efficacité des traitements et de l’issue de chaque cas particulier ; et aussi à notre culture et à nos valeurs. Dans cette situation difficile, les soignants, mais aussi les médias et la société entière tiennent à chaque malade le langage de l’espoir, du courage et de la lutte. A ces discours venus des autres, le malade répond, aussi longtemps qu’il le peut par l’idée du moral, qu’il faut avoir, et qui, pense-t-il, contribue à la survie.
La représentation de la maladie et les conditions objectives dans lesquelles vivent les patients font de l’expérience du cancer un moment éprouvant, tant pour les victimes, que pour leurs proches.
Les recherches effectuées dans le but de comprendre l’expérience du mourir, toutes aussi pertinentes et intéressantes qu’elles soient, ont peu contribué à jeter un éclairage sur l’ensemble de l’expérience du cancer. Celle-ci inclut en effet non seulement la fin de la vie ou maladie terminale, mais aussi la période de vie qui s’étend entre le moment où l’individu reconnaît son diagnostic et le début de la phase terminale. Il semble qu’on ait tout à fait négligé de situer ces réactions en rapport avec l’édifice culturel qui les oriente et les rend possibles.
On peut identifier trois phases majeures qui caractérisent l’évolution du cancer chez un individu, lorsque la maladie est diagnostiquée à temps.
Weisman, spécialiste de la recherche psychosociale en oncologie, a pour sa part tenté d’identifier les principales étapes, au nombre de quatre, que vivraient les patients, une fois leur diagnostic confirmé.
Les discours des soignés et des soignants montrent des discordances, des ruptures et des conflits, mais aussi des rencontres, et même une unité profonde. En effet, ces discours apparaissent ni plus ni moins comme les tactiques et les moyens mis en œuvre par les individus pour supporter l’expérience de la maladie. Ces tactiques respectent les principes d’évitement du pronostic et de discrétion nécessaires cherchant à maintenir l’espoir en préservant le moral.
Il existe un besoin d’information des patients, des efforts fournis pour obtenir cette information, mais aussi une attitude de contrôle des personnes membres du personnel soignant dans la manipulation de ces mêmes informations. Voici la liste des questions-types posées par les patients :
Toutes ces questions ne trouvent pas toujours réponse, mais il existe pour des thérapeutes qui voudraient y répondre des moyens de le faire. Ces tactiques consistent à :
Les progrès thérapeutiques interfèrent de plus en plus avec le problème de la vérité, et amenuisent sa dimension métaphysique, pour lui donner une dimension physique. L’un des exemples est celui où un traitement, efficace est mal supporté et où le patient songe à l’arrêter, parce qu’il ne connaît pas l’enjeu réel du combat qu’il mène. Lorsque les choses en viennent vraiment à l’arrêt, faut-il le laisser faire, en sachant qu’il commet un suicide à retardement, par ignorance ? Faut-il briser la résistance psychologique qu’il a organisé autour de la maladie, et lui révéler quelle partie se déroule en réalité ? Cela dépend de nombreux facteurs : chance du traitement, du pourcentage de guérison attendu ou de la longueur de la rémission escomptée, de l’armature psychique du patient et de sa famille, de la nature des liens qui se sont noués entre lui et l’équipe médicale. Il devient aujourd’hui de plus en plus difficile, dans une telle situation, de se taire.
Cas particuliers : Le SIDA, la maladie de Huntington.
Il y a des cas particuliers où d’autres éléments que la psychologie du patient interviennent : nous prendrons comme exemple le SIDA et la maladie de Huntington.
En ce qui concerne le SIDA, le médecin se voit dans l’obligation d’annoncer le diagnostic dès que celui-ci est posé. En effet, d’autres éléments que les problèmes purement psychologiques du malade entrent en jeu, entre autre la santé des partenaires de ces patients.
Un nouveau problème se pose dans le cas de la maladie de Huntington, suite au développement de la médecine prédictive, qui ouvre peu à peu un domaine où la maladie et les handicaps ne sont plus immédiats, mais éloignés, éventuellement de plusieurs dizaines d’années. L’information doit être encore plus élémentaire, sur les avantages et les inconvénients de la recherche d’une information qui n’est pas immédiatement accessible, qui nécessite une enquête et un test demandé ou volontairement subi, dont les conséquences pratiques sont éloignées ou conjecturales. Ces recherches se développent dans le cadre d’études familiales qui conduisent à aborder les sujets sains pour les tester et compléter une mosaïque de données, utiles à la première personne concernée, mais dont l’intérêt pour ses parents est discutable.
LE POINT DE VUE JURIDIQUE / DEONTOLOGIQUE
Tout être humain possède des droits inaliénables, les "Droits de l'homme et les libertés fondamentales", qui sont édictés dans des textes nationaux ou internationaux.
Mais le patient possède également des droits consécutifs à sa situation de malade, droits inscrits dans les règles de l'exercice médical et dans la jurisprudence administrative ou judiciaire. Les plus importants de ces droits sont :
- le libre choix du médecin par le patient.
- Le droit à l'information.
- Le secret professionnel
- La qualité des soins
- La mort digne
Il convient dans le cadre de notre réflexion d'analyser en profondeur le droit à l'information, au secret professionnel et à la qualité des soins
Soulignons avant d’aborder les différents articles, que le code de déontologie n’a pas valeur de loi en Belgique. Une transgression de celui-ci n’entraîne pas de responsabilité juridique, si l’article concerné n’est pas repris par la loi. (Ce qui n’est pas le cas du secret médical, voir art.458 code pénal, et art. 33 du code de déontologie, qui vont dans le même sens). Cela n’empêche pas le conseil de l’Ordre de pouvoir se référer au code de déontologie dans leurs décisions disciplinaires internes.
Le droit médical et la déontologie s'inscrivent à l'intersection de deux mondes différents, ayant chacun leur schéma de pensée propre. C'est ainsi qu'on peut parler d'un humanisme médical, différant sensiblement de l'humanisme juridique. Ce sont ces deux conceptions différentes que met en présence X.Dijon :
"Le médecin prend en charge l'intérêt du malade, intérêt entendu au sens global. Dans cette perspective, il s'agit pour l'homme de l'art de restaurer chez son patient, dans toute la mesure du possible, le dynamisme physique et psychique inhérent à l'état de santé; pour atteindre cet objectif, il estime devoir porter seul le poids de certaines décisions ou, en tout cas, de certaines informations, de telle sorte que son malade, dégagé de ce souci, puisse jouir de ce bien-être que, précisément, il venait chercher auprès de son médecin.
La sensibilité du juriste est différente. Pour lui, la personne qui doit, au premier chef, prendre en charge les intérêts du malade n'est autre que le malade lui-même, de façon responsable, car c'est lui qui est le premier "intéressé" par le sort de sa propre maladie. S'il consulte un médecin, ce n'est pas pour abdiquer toute sa liberté entre ses mains; c'est pour être aidé à surmonter les contradictions physiques qu'il rencontre dans son propre corps."
Pour le juriste, l'autonomie du patient est donc primordiale. La relation qu'il noue avec son médecin est un "contrat", qu’on décrit juridiquement comme étant un contrat tacite synallagmatique, c’est-à-dire implicite et entraînant des obligations réciproques à la charge des deux cocontractants : le médecin s'engageant à donner des soins consciencieux, attentifs, conformes aux données acquises par la science, tout cela avec le "consentement libre et éclairé" du patient, qui en retour doit s'engager à le payer. Le consentement libre et éclairé, qui est fondamental dans ce contrat entraîne donc le droit à l'information.
Pour le médecin, c'est plutôt l'intérêt du malade qui est primordial, d'où une certaine retenue dans l'information qui lui sera livrée; retenue manifeste dans les cas où une révélation de diagnostic grave pourrait entamer le moral, l'espoir d'un patient venant consulter un médecin dans afin que "ça aille mieux"; retenue clairement exprimée par l'article 33 du code de déontologie, qui sera analysé plus loin.
Mais si l'on sait que c'est l' "intérêt du malade" qui guide l'information, on ne dit pas qui est le juge de cet intérêt, d'où des hésitations du corps médical à parler au malade, à entretenir une sorte de paternalisme, qui a aussi ses partisans parmi la population ("Docteur, ne lui dites pas, il ne supporterait pas !). Cette relation paternaliste est d'ailleurs vivement contestée par certains. Serge Vidal affirme à partir d'arguments d'ordre éthique que la relation médecin-patient ne doit pas être de type paternaliste, mais de type adulte-adulte. Nous reviendrons sur ce problème dans le chapitre consacré au point de vue éthique.
Le droit à l'information, qui est reconnu par la loi, le Code de déontologie médicale et la jurisprudence joue donc un rôle central dans le problème de la vérité. Ce droit à l'information porte sur l'état de santé (diagnostic, pronostic), mais également sur les examens et traitements proposés. Ce droit à l'information est essentiel, car comme le précise le code de déontologie, le médecin se doit de respecter la volonté du patient : il ne peut donc agir qu'avec le "consentement libre et éclairé" du malade, ce consentement concernant les actes tant de diagnostic que de soins. On parle de consentement libre, car la volonté du malade doit se déterminer en dehors de toute contrainte physique ou morale et le médecin doit se garder de toute pression ; et éclairé, car le patient doit disposer des informations lui permettant de prendre raisonnablement sa décision en temps utile. De plus, l'information donnée doit être "simple, approximative, intelligible et loyale permettant au patient de prendre la décision qui semble s'imposer".
Précisons qu'informations orales, écrites, données chiffrées, graphiques et informatisées sont toutes comprises dans ce droit à l'information.
Analysons maintenant plus précisément les différents textes cités dans le Code de déontologie, dans le Code pénal et la jurisprudence. Nous nous intéresserons dans un premier point aux principes généraux, valables pour tout médecin, pour nous attarder ensuite sur les cas particuliers du médecin privé et du médecin en institution hospitalière.
Divers articles du Code de déontologie concerne l'information du patient, le "consentement éclairé".
L'article 33, quant à lui aborde de façon frontale notre sujet.
Art 33 : " En principe, le pronostic doit être révélé au patient. Un pronostic grave peut cependant légitimement être dissimulé au malade. Un pronostic fatal ne peut lui être révélé qu’exceptionnellement et avec une grande circonspection, mais il doit l’être généralement et en temps opportun à l’entourage à moins que le patient n’ait préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. "
Ainsi, si il y a une obligation déontologique d'informer le malade afin d'obtenir son consentement, il faut également tenir compte de la volonté de celui-ci à être informé et de sa capacité à supporter cette information.
Pour la justice belge, le droit à l’intégrité physique ou droit à l’autodétermination est le fondement du droit à l’information. Si l’on conçoit la relation patient-médecin comme un contrat, la bonne foi du médecin commande à celui-ci d’informer son patient. Ainsi, certains cas de jurisprudence déterminent que c’est le médecin interrogé par le patient qui a l’obligation d’informer celui-ci. S’il y a nécessité de consulter un spécialiste, le premier médecin consulté ne peut pas supposer que le spécialiste donnera l’information au patient, même si le spécialiste a également une obligation d’information. On a donc affaire à deux obligations d’information, parallèles l’une à l’autre.
L’exception thérapeutique permet au médecin de cacher au patient les informations qui pourraient nuire à ce dernier.
Le droit de ne pas savoir est de plus en plus présent, avec l’apparition des diagnostics génétiques et les tests HIV. On peut fonder celui-ci sur le droit à l’intégrité physique et psychique, et au respect de la vie privée entraînant d’être préservé de toute information nuisible. Cependant, si la non-information peut provoquer des effets graves chez des tiers, le droit de ne pas savoir peut être transgressé. (pensons au SIDA, par exemple)
l'infirmier / infirmière
Selon la jurisprudence belge, on ne peut pas déléguer à une infirmière le soin de donner l’information, car cela fait partie même de l’exercice de la profession médicale. Néanmoins, les infirmières ont une obligation d’information en ce qui concerne leurs compétences, c’est-à-dire l’exécution des actes pour lesquels elles sont légalement compétentes.
En France, le décret du 16 février 1993 relatif aux règles professionnelles des infirmiers et infirmières affirme lui aussi le droit des malades à l'information, et précise quel type d'information ceux-ci sont en droit d'obtenir d'eux :
Art. 32 : "L'infirmier ou l'infirmière informe le patient ou son représentant légal, à leur demande, et de façon adaptée, intelligible et loyale, des moyens ou des techniques mis en oeuvre. (...)"
En France, il existe également deux articles du Code de la santé publique concernant la relation pharmacien-patient.
Art. R.5015-46 : "Ils doivent répondre avec circonspection aux demandes faites par les malades ou leurs préposés pour connaître la nature de la maladie traitée ou la valeur des moyens curatifs prescrits ou appliqués."
Art. R.5015-47 : "Ils doivent s'abstenir de formuler un diagnostic ou un pronostic sur la maladie au traitement de laquelle ils sont appelés à collaborer. Notamment, ils doivent éviter de commenter médicalement auprès des malades ou de leurs préposés les conclusions des analyses qui leur sont demandées."
Insistons donc bien sur le fait que ni l’infirmier, ni le pharmacien ne peuvent fournir des informations de type diagnostic ou pronostic, mais peuvent uniquement se prononcer sur les moyens mis en œuvre durant le traitement.
En médecine individuelle ou en secteur privé.
Rappelons que le contrat médical est un accord de volonté entre un médecin et un patient. Le "consentement libre et éclairé" qui doit être obtenu du malade exige de la part du médecin de l'informer. Mais à quelles caractéristiques doit répondre cette information ? Jusqu'où aller ?
La jurisprudence Française (arrêt de la Cour de cassation du 21 février 1961) précise que cette information se doit d'être "simple, approximative, intelligible et loyale permettant au patient de prendre la décision qui semble s'imposer".
- Simple : tenant compte des connaissances du malade, de leur niveau. Les termes 'tumeur de l'estomac' et 'adénocarcinome pylorique' ne s'adressent pas au même public !
- Approximative : renseignant le malade sur la gravité de l'affection, sur l'action thérapeutique envisageable, sur les résultats et risques de celle-ci, sur l'évolution probable ; tout cela ne devant pas être fait avec des détails superflus. Le patient doit avoir une idée claire pour son niveau de compréhension.
- Intelligible : tenant compte des capacités intellectuelles et psychologiques du malade à recevoir l'information, qui peuvent être diminuées ou supprimées. Dans les cas graves, il ne faut pas négliger les risques de traumatisme psychique (angoisse, dépression, suicide) ou organique (stress).
- Loyale : ne comprenant ni dissimulation, ni mensonge injustifiés (dol), qui seraient cause de nullité de contrat et source de responsabilité (faute médicale).
La Charte Européenne du malade usager de l'hôpital.
Le droit à l'information du malade est prôné par la Charte Européenne du malade usager de l'hôpital, adoptée à Luxembourg en mai 1979 :
Art.4 : "Le malade usager de l'hôpital a le droit d'être informé de ce qui concerne son état. C'est l'intérêt du malade qui doit être déterminant pour l'information à lui donner. L'information donnée doit permettre au malade d'obtenir un aperçu complet de tous les aspects, médicaux et autres, de son état et de prendre lui-même les décisions ou de participer aux décisions pouvant avoir des conséquences sur son bien-être."
Nous retrouvons ici l'affirmation que c'est l'intérêt du malade qui est déterminant pour la révélation de la vérité. Ici non plus on ne dit pas qui est le juge de cet intérêt.
Les éléments repris plus haut sont également valables ici.
Art 14. : " Les médecins exerçant dans des organismes publics ou privés doivent veiller à ce que les modes d’information utilisés par ceux-ci soient conformes aux règles de la déontologie. (...) "
Parallèlement au problème de l’information se développe le problème de l’accès aux dossiers, cette question se posant malheureusement plutôt dans les cas de litige. Le médecin est-il tenu d’accorder au malade qui lui demande l’accès à des données médicales ?
Il n’y a pas de définition précise de ce que contient le dossier médical. Le flou est tout aussi grand en ce qui concerne la notion de données médicales.
Législation, doctrine et jurisprudence belges sont muettes en ce qui concerne ce droit de regard. Le droit belge ne reconnaît donc au patient aucun droit d’accès à ses données médicales et aucune obligation pour le médecin à permettre cette consultation.
Le code de déontologie autorise dans l’article 42 le médecin auquel le patient en fait la demande à remettre les éléments du dossier médical concernant ce patient.
Le Droit français.
Le droit à l'information des malades se trouvant dans un établissement de santé public ou privé est reconnu par l'article L.710-2 du Code de la santé publique (Loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière)
"Dans le respect des règles déontologiques qui leur sont applicables, les praticiens des établissements assurent l'information des personnes soignées. Les personnels paramédicaux participent à cette information dans leur domaine de compétence et dans le respect de leurs propres règles professionnelles."
Le décret du 14 janvier 1974, relatif aux règles de fonctionnement des établissements de santé (centres hospitaliers, hôpitaux locaux) contient six articles se référant au droit à l'information du malade. Les articles 41 et 44 précisent les conditions d'application de ce qui était énoncé dans le Code de déontologie médicale et le décret relatif au règles professionnelles des infirmiers et infirmières, éléments cités précédemment.
Art. 41 : "Le médecin chef de service ou les médecins du service doivent donner aux malades, dans les conditions fixées par le Code de déontologie, les informations sur leur état qui leur sont accessibles; (...) "
Art 44. : " (...) En l'absence d'opposition des intéressés, les indications d'ordre médical - telles que diagnostic et évolution de la maladie - ne peuvent être données que par les médecins dans les conditions définies par le Code de déontologie; les renseignements courants sur l'état du malade peuvent être fournis par les surveillants et surveillantes."
L'article 6 bis de la loi du 17 juillet 1978 modifié par celle du 11 juillet 1979 donne le droit aux malades hospitalisés ou reçus en consultation externe dans un établissement d'hospitalisation public de se faire communiquer leur dossier médical par l'intermédiaire d'un docteur en médecine.
"Les personnes qui le demandent ont droit à la communication, par les administrations mentionnées à l'article 2 [les hôpitaux publics en font partie], des documents de caractère nominatif les concernant, sans que des motifs tirés du secret de la vie privée, du secret médical (...), portant exclusivement sur des faits qui leur sont personnels, puissent leur être opposés. Toutefois, les informations à caractère médical ne peuvent être communiqués à l'intéressé que par l'intermédiaire d'un médecin qu'il désigne à cet effet."
L'article 4 de cette loi précise que l'accès aux documents administratifs s'exerce par consultation sur place ou par délivrance de copies en un seul exemplaire aux frais de la personne qui les sollicite. Cette consultation doit donc s'effectuer dans le cas nous intéressant par le médecin désigné (et qui n'est pas obligatoirement le médecin traitant).
La loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière et son décret d'application du 30 mars 1992 étend ces dispositions à toutes les personnes accueillies dans les établissements de santé publics et privés.
Art. L.710-2 du Code de la santé publique : "les établissements de santé, publics ou privés, sont tenus de communiquer aux personnes recevant ou ayant reçu des soins, sur leur demande et par l'intermédiaire du praticien qu'elles désignent, les informations médicales contenues dans leur dossier médical. Les praticiens qui ont prescrit l'hospitalisation ont accès, sur demande, à ces informations."
L'article R.710-2-1 précise quant à lui le contenu de ce dossier médical. On doit y consigner :
"(...)
- Les conclusions de l'examen clinique initial et des examens cliniques successifs pratiqués par tout médecin appelé au chevet du patient;
- Les comptes-rendus des explorations para-cliniques et des examens complémentaires significatifs, notamment le résultat des examens d'anatomie et de cytologie pathologique;
(...)
- Le compte rendu d'hospitalisation, avec notamment le diagnostic de sortie;
(...) "
L'article R-710-2-2 apporte quelques précisions :
" (...)
Le praticien communique les informations médicales au patient ou à son représentant légal dans le respect des règles de déontologie, (...).
Les établissements de santé ne sont pas tenus de satisfaire les demandes de communication manifestement abusives par leur nombre ou leur caractère systématique."
Certains éléments peuvent ne pas figurer dans le dossier médical, telles les notes personnelles que le médecin peut prendre. Celles-ci ne peuvent être exigées que par la Justice et l'Ordre des médecins.
Le secret médical est presque aussi vieux que la profession elle-même. On retrouve en effet déjà dans le serment hippocratique : "Je tairai ce qui n'a jamais besoin d'être divulgué, regardant la discrétion comme un devoir en pareil cas.".
Ce secret exige du médecin le respect des données confidentielles concernant la vie privée et la maladie du patient. Hors des cas où la loi l'autorise ou l'oblige, une révélation sera punie sévèrement par le Code pénal (article 458). Le Code de déontologie impose lui aussi le secret médical, tant au médecin qu'à ses collaborateurs. (Articles 56 et 57)
Il est bon de rappeler que celui-ci ne concerne pas la relation médecin-patient, mais n'intervient que dans les rapports avec des tiers; ou comme le rappelle la jurisprudence administrative : "le secret médical n'est pas opposable au malade".
En pratique, la situation est plus délicate.
Dans les cas de maladie bénigne, la révélation de l'état d'un malade ne doit être faite qu'à lui seul et en aucun cas à une autre personne, ce qui constituerait une violation du secret.
Mais dans les cas d'affections graves, le cas qui nous intéresse ici, peut-on en faire la révélation aux proches du malade ? On est même en droit de se poser la question de la révélation au malade même ! Le médecin doit en effet, comme le souligne l'article 33 juger en sa conscience de l'opportunité de cette double révélation. Double révélation, car d'abord révélation au malade, tenant compte notamment du fait qu'avertir celui-ci risque de l'amoindrir psychologiquement, de le faire arrêter les traitements, l'empêcher de combattre la maladie, de se suicider même. Des éléments non inhérents au malade entrent aussi en jeu : des éléments scientifiques, dont le degré de certitude du diagnostic; des éléments familiaux, la qualité relationnelle de l'entourage du malade; des éléments socio-culturels, etc. Double révélation ensuite, parce que révélation à la famille, où la loi se trouve en opposition partielle avec la déontologie, dans le cas où le médecin apprend la vérité à la famille mais la cache au patient, brisant le secret médical, mais respectant le code de déontologie (celui-ci n'interdit la révélation à la famille que si il y a opposition du malade). Cette marge est en pratique allègrement franchie en pratique médicale quotidienne, et il n'y a à notre connaissance aucun cas de jurisprudence condamnant un médecin pour violation du secret professionnel, ni même de procès intenté sous ce chef. A supposer que cela arrive, on pourrait avancer que l'information de la famille est nécessaire pour la participation aux soins du malade. Ceci est déjà une bonne raison d'informer la famille. Une autre raison valable de révéler le secret ou une partie de celui-ci serait constituée par les problèmes de transmission de maladies contagieuses, afin de préserver le personnel soignant et l'entourage du patient. Là, l'information peut se limiter aux mesures d'hygiène.
Le Code de déontologie énonce quelques devoirs du médecin envers son patient afin de favoriser une relation médicale de qualité. Une attitude correcte et attentive, le respect de la dignité humaine, une élaboration soigneuse du diagnostic, voilà quelques-uns des devoirs qu'il est bon de rappeler et qui sont impliqués à un moment ou un autre dans la révélation d'un diagnostic grave au malade. Il y a ainsi une obligation de "continuité" dans la relation au patient. Le développement de ce sujet sera fait dans le chapitre consacré au point de vue psychologique.
Une question importante que l’on se pose lorsque l’on réfléchit au problème de l’annonce de la vérité est de savoir comment annoncer un diagnostic de maladie incurable.
Pour E. Kübler-Ross, la question ne devrait pas être : " le médecin doit-il parler à son patient ? ", mais " Comment peut-il faire part de ce qu’il sait à son patient ? ".
Le médecin doit prendre garde aux légers indices qui viennent du malade et qui lui permettront de deviner le désir du patient de regarder la vérité en face. De toute manière, la plupart des malades sont au courant. Ils perçoivent la gravité du diagnostic grâce à des changements d’attitude, à une façon différente de les aborder, aux dérobades, aux réponses évasives, aux chuchotements, à l’observation et l’écoute de leurs compagnons d’infortune, à des souvenirs de cas semblables de dissimulation dans leur famille et chez leurs proches, à des messages qu’ils perçoivent dans leur propre corps (douleur, fatigue, amaigrissement, essoufflement...), etc. Qu’un malade soit clairement informé ou non, il parviendra néanmoins à la conscience de son mal et pourra perdre sa confiance dans un médecin qui lui aura dit un mensonge ou ne l’aura pas aidé à affronter la gravité de sa maladie quand il aurait encore eu le temps de mettre de l’ordre dans ses affaires.
Un premier point essentiel lors de l’annonce du diagnostic très sombre est que le médecin doit absolument laisser de l’espoir au malade, que ce soit par l’éventualité de nouveaux traitements, ou de nouvelles techniques. Le principal est de transmettre au malade que tout n’est pas perdu et qu’on ne l’abandonnera pas. La pire manière pour un médecin de se comporter devant un malade, si grave soit sa maladie, est de lui assigner un nombre précis de mois ou d’années à vivre.
Il faut également laisser au patient autant de contrôle que possible sur sa vie et son horaire, afin de respecter son autonomie (voir réflexion éthique). De plus, sa vie doit, dans la mesure du possible, rester en continuité avec la vie qu’il menait avant sa maladie. Particulièrement en ce qui concerne ses relations avec les personnes importantes de sa vie et la possibilité de passer le plus de temps possible dans un environnement confortable et familial. Cela sera rassurant non seulement pour le patient, mais également pour la famille.
Par le fait même d’annoncer la vérité au malade, ce dernier perçoit une profonde solidarité et est assuré que tout ce qui pourra être fait sera entrepris. Si l’information est transmise de cette manière, le malade continuera à avoir confiance en son médecin et il aura le temps de passer à travers les différentes réactions qui lui permettront de faire face à la nouvelle situation, celle d’une vie menacée.
Pour le docteur Choteau, il est important de savoir que, dans la relation au malade, deux aspects sont essentiels et indissociables, le savoir et le savoir-être.
Tout d’abord, pour répondre à la demande des patients il faut évidemment de bonnes connaissances médicales. Le patient attend d’abord du médecin qu’il soit un bon médecin, c’est-à-dire qu’il ait une bonne capacité de diagnostic et qu’il puisse le faire profiter des dernières avancées de la science médicale. Ensuite, il faut que le médecin ait de bonnes connaissances psycho-sociales afin de mieux se repérer dans le contexte social et familial du patient, de mieux réagir face à ses attitudes et ses demandes.
Les aspects auxquels le médecin doit prendre garde sont les suivants :
Pour illustrer l’importance des facteurs culturels, nous reprendrons une comparaison effectuée par E.Kübler-Ross entre l’approche de la mort et de la vérité chez les Indiens d’Alaska et les Juifs.
Chez les Indiens d’Alaska
Dans la plupart des cas, ils font preuve face à leur mort, à sa préparation, d’un étonnant pouvoir de volonté et de choix personnels. Chez nous la mort vient " comme un voleur ", la nuit, inattendue et imprévisible, d’où l’importance de la vie, qui est mise en évidence. Chez les Indiens d’Alaska, les gens jouent un rôle actif dans leur vie, mais aussi dans leur mort. Ils s’y préparent (extrême onction, réunion de famille, mise en ordre des affaires, etc.), l’abordent avec sérénité, l’attendent presque. Chez eux, la fin de la vie peut être porteuse de significations et de croissance. Ainsi, le problème de la vérité ne se pose pas vraiment. Ces gens sentent la mort arriver et à partir de ce moment, ils organisent la fin de leur vie et choisissent le moment où ils mourront. Pour eux, il semble évident que chaque personne sente, intuitivement, que sa vie significative tire à sa fin et qu’il entre dans la phase finale facilement et naturellement. Bien peu d’entre eux ont besoin d’un médecin pour leur dire qu’ils ont une maladie terminale.
La volonté humaine a donc un rôle très important, jouant à la fois sur la vie et sur la mort.
Chez les Juifs.
Dans la culture juive, certains rites donnent à la mort son sens et sa dignité, permettant au mourant de bénir sa famille, de lui laisser tout message qu’il juge important et de faire la paix avec Dieu. L’application de ces règles de la loi Judaïque prend plus ou moins de sens, selon les personnes qui participent au rituel et selon le degré auquel le mourant avait intégré son identité juive à l’ensemble de sa vie.
La tradition Juive aborde la mort directement et fait de la maladie terminale et du moment de mourir des instants où les proches du patient devraient l’entourer, l’encourager. La famille et le médecin ont souvent à décider s’ils doivent ou non informer un malade terminal de la nature et de la gravité de sa maladie. On se rapporte fréquemment à des précédents bibliques pour fonder l’attitude juive à l’égard de ce problème. Ex. Dans le livre des Rois, au chapitre VII, Ben Hadad, roi de Syrie, demande à son aide Hazazl de s’enquérir auprès du prophète Elie de ses chances de guérir d’une maladie. Elie lui répond : " Va lui dire : " Tu guériras sûrement " mais le Seigneur m’a montré qu’il mourra sûrement " Les rabbins s’appuient sur cet exemple pour montrer qu’il ne faut pas révéler au patient la gravité de sa maladie et lui donner plutôt l’espoir d’une guérison possible.
Un autre exemple est celui de la culture italienne, où l’autonomie est souvent synonyme d’isolation : protéger le membre malade de la famille d’une information douloureuse est considéré comme essentiel pour maintenir la famille unie et empêcher le malade de souffrir seul.
En ce qui concerne la communication du diagnostic, il faut faire en sorte que l’entretien avec le patient ne doit pas être précipité, afin que celui-ci puisse comprendre et poser toutes ses questions. S’il le désire, il pourra être accompagné d’un proche, mai cela ne doit pas être institué automatiquement.
Le langage doit également être adapté, le médecin doit adopter les propres termes de celui qu’il a en face de lui et prendre garde à son système de représentation. En effet, lorsqu’un médecin ou un patient parle, c’est avec des gestes, des regards, mais surtout avec des mots, et ce surtout lorsqu’il s’agit d’exprimer un grande souffrance. Les soignants doivent donc faire attention aux mots utilisés. Il s’agira notamment de ne pas confondre exactitude, qui fait appel à une conformité dans le savoir avec l’obligation froide d’un savoir, et vérité.
ex. " le médecin découvre une tumeur chez une patiente. Il ne doit d’abord pas dramatiser, ne pas employer le mot " tumeur ", qui implique chez beaucoup de gens, le mot " cancer ". Il doit plutôt parler de " petite boule " à analyser. Si les résultats s'avèrent négatifs, il n'aura pas provoqué une panique inutile chez la patiente. Si les résultats s'avèrent positifs et cancéreux, il devra, à ce moment-là trouver les mots et le moment pour annoncer la nouvelle à la patiente. "
Il ne faut cependant pas exagérer cette relativisation. Un des pièges dans lequel peut tomber le médecin est de s'engager dès le départ de la relation thérapeutique dans la voie du mensonge. Une petite tumeur de pronostic favorable peut être dissimulée au départ sous des mots tels que "rhumatismes", "abcès", "calcifications", afin de ne pas alerter le malade; mais que lui dire quand, suite à une évolution défavorable, son "rhumatisme" menace sa vie ? Il est nettement préférable qu'une information vraie suive de près le diagnostic et l'évolution de la maladie.
Toujours à propos du langage, on peut distinguer le fait de nommer, de dire, et de s’exprimer.
Nommer la maladie, c’est l’appeler par son nom, c’est dire en terme clair, c’est un langage adapté à l’agir, à l’action technique. Cela devra être employé pour le SIDA, à cause de la responsabilité engagée quand à la transmission de la maladie.
Dire la maladie, c’est en parler sans la nommer. C’est la façon la moins traumatisante pour le patient d’annoncer la maladie.
Enfin, on peut exprimer les choses sans les dire (un regard, un silence, etc.) . Les psychologues estiment que dans la relation médicale, 50% de la communication est non-verbale. Cette portée symbolique des attitudes est ce que Kübler-Ross appelle le " langage symbolique ". Il faut savoir que le langage se modifie avec le temps, le cours de la maladie, etc. Il faut veiller à ne jamais faire porter à quelqu’un plus que ce qu’il n’en est capable à ce moment là.
Une voie intéressante, proposée par le Dr Schaerer, et qui dépasse le problème du dire ou ne pas dire est de laisser le patient s’exprimer sur sa propre mort.
En effet, quand c’est le médecin qui annonce celle-ci, la révélation prend des allures de condamnation, de sentence : " Tu vas mourir ". Le malade se sent exclu du monde des vivant, car " on ne peut plus rien ", il est privé d’espoir.
Au contraire, quand c’est lui qui dit " Je vais mourir ", il reste sujet de sa vie. Il dit cela pour appeler à la communication, à l’aide, à l’échange vrai. Il peut garder l’espoir d’un délai, d’un fait inattendu, d’un démenti. Il ne demande ni de le contredire, ni de le confirmer, mais de montrer que le soignant a entendu et qu’il comprend bien qu’il s’agit pour eux de parler de l’essentiel.
Quand le malade dit " J’ai peur de mourir ", il ne faut pas répondre " oui, bien sûr ", pour passer à un sujet plus réconfortant, car les craintes sous-jacentes à cette question peuvent être multiples. (Que va-t-il m’arriver ? Comment ça va se passer ? Vais-je souffrir ? Ceux que j’aime seront-ils à mes côtés ou serai-je seul ? Ma vie garde-t-elle une valeur ?) Dans cette situation, il peut être opportun d’utiliser la méthode de la reformulation, formulée par Kübler-Ross, et qui consiste à répondre " Vous avez peur ? Dites-moi ce que vous entendez par là... " On encourage ainsi le malade à aller plus loin, à expliquer ses craintes, parmi lesquelles certaines peuvent être injustifiées.
Le savoir, qui vient d’être analysé, doit toujours s’accompagner d’un savoir-être, qui exige de la part des soignants qu’ils se ressourcent personnellement, qu’ils réfléchissent seuls et en équipe pour répondre aux questions qu’ils se posent et pour améliorer leurs capacités de relation et de communication. En effet, des études montrent qu’il y a souvent des problèmes de communication entre médecins et malades, parce qu’ils ne se rendent pas toujours compte qu’ils se doivent réciproquement la vérité : le malade donne des informations au médecin, informations essentielles pour le diagnostic et le traitement. Il faut une relation authentique pour que chacun découvre la vérité de l’autre. Les problèmes de communication rencontrés sont nombreux, mais il y a moyen pour le médecin d’y remédier. ex : consultation qui ne satisfait pas le malade par défaut de qualité dans la relation interpersonnelle (ambiance défavorable, froideur du médecin, etc.). Pour éviter cela, le médecin doit s’efforcer d’améliorer la qualité des échanges et l’ambiance de la consultation, en interrogeant mieux et plus longuement le patient, en préservant une atmosphère chaleureuse et détendue, etc. Il y a aussi des manques de compréhension que le médecin doit éviter, par exemple en évitant le jargon médical, en usant de mots simples, en répétant certaines choses. Un autre problème rencontré est le défaut de mémoire chez le patient. Pour cela, le médecin peut fragmenter les informations au cours de consultations successives, insister sur certains éléments, etc.
Après avoir discuté du " Comment annoncer un pronostic fatal ? ", on peut se poser la question " Qui doit dire la vérité ? Quels sont les soignants concernés ?".
Le malade choisit son interlocuteur en fonction du niveau de réponse qu’il souhaite obtenir : plus ou moins médical, complet, élémentaire. Si l’information circule bien entre les membres de l’équipe soignante, du médecin au personnel d’entretien, toute personne à qui l’on pose une question devrait se sentir autorisée à répondre selon son niveau de compétence, en ne craignant pas de dire " je ne sais pas ", si telle est la vérité, mais en évitant de renvoyer systématiquement à l’infirmière ou au médecin.
Il semble toutefois que le médecin reste le premier concerné. Le pouvoir que le patient lui confère, il devra l’utiliser au service de celui-ci et de son entourage. Le médecin de famille, qui connaît mieux le malade, reste le mieux placé, mais le spécialiste peut également rapporter au malade les renseignements qu’il attend au sujet de sa maladie. Cela suppose donc une excellente circulation de données entre spécialiste et généraliste, et cela dans les délais les plus brefs.
Le malade s’adresse souvent aux infirmières, ainsi qu’aux aides-soignantes, les percevant comme moins distantes, étant donné le temps qu’elles passent avec les malades, laissant le temps à l’écoute et à la parole. Il pourrait donc arriver à celles-ci de se sentir très mal à l’aise entre le désir de ne pas contredire le médecin et celui de vouloir être " vraies " avec le malade. Un autre élément expliquant cette préférence du malade est du au fait que le verdict paraît moins définitif que lorsqu’il est prononcé par le médecin.
Tout cela souligne l’importance d’une bonne communication entre les différents membres de l’équipe soignante. Il faut également une reconnaissance sociale et institutionnelle des difficultés rencontrées par l’équipe, sinon les soignants risquent de se retrouver usés (Burn-out syndrom) par les deuils successifs et la présence obsédante de la mort.
La troisième question importante est de savoir à qui il faut révéler le diagnostic fatal.
Celui-ci reste le premier concerné. Il faut tenir compte de la diversité des situations qui peuvent se présenter.
C’est là une très lourde tâche du médecin que d’identifier ces différents types de patients, de commettre le moins d’erreurs possibles. La bonne réponse n’est malheureusement pas dans un manuel, elle s’acquiert au cours de la vie médicale. Nous avons vu comment ce problème dépasse largement celui d’une simple vérité à dire ou à ne pas dire. Il nous confronte aussi au double caractère de la démarche médicale : science, mais aussi pratique, qui pour être opérante, se doit d’admettre le subjectif, le particulier, l’individuel et même l’aléa en interaction avec l’objectif et le général.
L’accompagnement du malade est impensable sans sa famille. Or, la place de la famille est trop souvent banalisée, réduite à celle des procédures psychologiques à employer pour que la famille puisse faire face. Cependant, un médecin a autant à recevoir de la part de la famille et lui doit autant de respect qu’au patient, même si s’occuper des patients mourants et de leur famille demande beaucoup de temps. La famille n’est pas une intruse, mais le trait d’union qui relie le patient à " sa " vie.
Il conviendra donc d’agir envers la famille avec la même délicatesse qu’envers le malade, d’avancer avec elle dans une relation de vérité qui lui donnera le temps de réaliser peu à peu les conséquences de la maladie et de commencer progressivement le travail de deuil, tout en conservant la relation avec le malade.
Il faut essayer d’éviter que s’installe entre le malade et sa famille un " mur du silence ". Malgré tous les efforts que les médecins peuvent faire, la famille demande souvent de ne rien dire au malade. Or, cela aura pour conséquence d’amener le malade dans une grande solitude, le jour où il se rendra compte de la gravité de son état.
Selon P.Schaerer : " il faut tenir compte de deux réalités, de deux exigences :
La priorité du médecin sera donc de maintenir une relation de vérité aussi bien avec la famille qu’avec le patient.
Il arrive que certaines familles souffrent de ne pas savoir quoi faire. Une information de la part du médecin se révèle alors indispensable et bénéfique : il suffit de leur dire qu’ils peuvent toucher le malade, lui parler, etc. La priorité du médecin va donc consister à rester en relation de vérité aussi bien avec le malade qu’avec sa famille, pour faire de cette période de l’histoire du malade un véritable " temps de vie ".
Après avoir répondu à ces différentes questions, on peut analyser quelles vont être les réactions du patient, mais aussi celles du médecin, dans une situation telle que l’annonce d’un diagnostic incurable.
Comme le souligne E.Kübler-Ross, il est évident que l’homme n’aime pas délibérément envisager la fin de sa vie terrestre.
Le patient a des inquiétudes diverses :
L’annonce d’un diagnostic de maladie incurable peut être une malédiction ou une bénédiction suivant la façon dont le malade et sa famille sont dirigés dans cette situation cruciale. En effet, la période de la phase terminale peut être un moment d’évolution individuelle et de préparation commune, ou bien cela peut devenir une époque d’échec et de destruction mutuelle. Soit achever et accomplir une union, soit salir le souvenir des bonnes relations et miner la santé des survivants. E.Kübler-Ross croit que nous devrions penser de temps en temps à la mort et à ce qui la précède, et ce, avant de la rencontrer dans notre propre vie. Ce peut donc être une bénédiction d’employer le temps d’une maladie d’un proche à penser à la mort qui nous concerne.
Il faut savoir que presque tous les malades sont conscients de la gravité de leur maladie, qu’on le leur ait dit ou non. Ils ne font pas toujours part de cette certitude à leur médecin ou à leurs proches, mais il vient un moment, où les patients ressentent le besoin de parler. Jean-Robert Debray signale à ce propos que les " patients privilégiés ", pour lesquels l’argument d’autorité fonctionne à plein, ne réclamant qu’un mot léger, dit d’une voix presque distraite " Ce n’est pas grand chose ..." deviennent de plus en plus rares.
Selon Kübler-Ross, tous les malades réagissent de façon presque identique aux mauvaises nouvelles. Les étapes psychologiques de cette évolution sont les suivantes :
Ex. " ça ne se peut pas ! ! ! Je vais guérir ! "
Il est à remarquer, que même niée, la peur reste physiologiquement active.
Yves de Gentil-Baichis estime qu’environ 10% des patients incurables restent
bloqués à ce stade.
Ex. " Je ne veux pas de cartes de prompt rétablissement, laissez-moi la
paix ! ".
Ex. " Je prie beaucoup, il se passera donc un miracle. "
Ex. " Je n’en peux plus, laissez-moi tranquille "
Ex. " Je ne souffrirai plus beaucoup, adieux... "
Cette phase permet de retrouver un nouveau sens à sa vie, une nouvelle
identité, de nouveaux intérêts, de nouvelles satisfactions.
Pour que cette ultime étape soit atteinte, le malade doit garder une lueur d’espoir. Sans cela, le malade aura de mauvaises réactions et ne se réconciliera jamais complètement avec la personne qui lui a annoncé cette information en ne laissant aucune chance de guérison. On peut constater que les malades réagissent différemment aux nouvelles qu’on leur donne en fonction de la personnalité qu’ils se sont formés et du style de vie auquel ils prétendaient dans leur existence précédente.
J.R.Debray insiste aussi sur un maintien de l’espoir qui est non seulement un devoir, mais une nécessité. Il prétend que la révélation d’un pronostic fatal apparaît dans l’immense majorité des cas comme le point de départ d’une attitude défaitiste entraînant la dépression et la déchéance et que le rôle du médecin n’est dans aucun cas de diminuer les chances de survie du malade, en risquant de provoquer ces réactions allant parfois jusqu’au suicide. (Quoique cette crainte soit exagérée, comme le révèle certaines études statistiques)
Certains patients semblent incapables d’assumer la souffrance du parcours psychologique du deuil. On ne peut pas aider le malade à retrouver le bien-être physique, mais on peut l’aider à vivre sa vie le plus pleinement possible jusqu'à sa mort.
Il y a cependant des sources d’aide possible pour ces patients :
Le patient est en droit d’exiger la vérité. C’est alors au médecin d’analyser la situation, le caractère et le psychologique de son patient pour ajuster sa réponse.
Quel est l’intérêt de savoir ? Le patient n’est plus dans le doute qui le mine encore plus. Il peut faire face, organiser, planifier sa fin de vie. Il peut mettre en ordre ses affaires personnelles et administratives. Organiser la vie de ses enfants, par exemple, après sa mort. D’un point de vue plus psychologique, le patient pourra mettre de l’ordre dans sa tête, témoigner plus justement de ses sentiments, se mettre en accord avec lui-même. Il pourra faire son deuil de la vie, de sa famille, de sa maison, etc. que bientôt il perdra. Cela permet aussi à la famille de faire le deuil de la personne qu’elle va perdre. Savoir la vérité peut à la fois provoquer de la peur, de l’inquiétude, de la tristesse, etc.
L.Schwartzenberg a étudié comment les six phases du deuil se déroulent quand le patient reste dans l’ignorance du diagnostic, et quel est l’intérêt de savoir pour le bon déroulement de ce deuil.
Selon lui, la première phase, celle du refus, se présente quand même, du moins dans la plupart des cas. Pourquoi donc, si le malade ne sait pas ? Simplement parce qu’il sent bien ce qu’il en est, même si on lui ment, et qu’en pratique il sait, même s’il repousse l’idée de sa mort.
Pour le second stade, celui de la révolte, la peur et l’angoisse sont d’autant plus cruelles que le patient sait sans vraiment savoir, sans être tout à fait sûr, puisque le médecin refuse de répondre, de parler autrement que pour ne rien dire.
Il n’y a donc pas de marchandage, la troisième étape, ou du moins en principe. Dans la pratique, les médecins savent bien que le soin minutieux avec lequel certains malades suivent leurs prescriptions, la résignation dont ils font preuve chaque fois qu’un nouvel examen leur est ordonné, un nouveau traitement prescrit, une nouvelle opération imposée, expriment cette volonté de ne laisser passer aucune chance, de faire tout leur possible pour surmonter le mal. Il y a bel et bien marchandage, à ceci près qu’il demeure implicite, occulté par le brouillard du secret. Au lieu d’être une négociation menée en pleine clarté, en pleine connaissance de cause, le malade est condamné à un marchandage avec lui-même. Croit-on qu’il souffre et se tourmente moins que s’il pouvait parler, si on lui avait parlé ?
Le chagrin, presque le désespoir, quatrième étape : là encore c’est inévitable, et là encore, la seule différence est que le mur de silence et de mensonge laisse le malheureux seul avec son désespoir.
Aussi, l’agressivité, l’irritation, la fureur même contre le médecin qui ne sait pas vous guérir et qui sans doute s’en trompé, contre les infirmières qui affectent de croire que tout ne va pas si mal, alors qu’au fond de soi-même, on sait bien que tout est perdu, contre les proches prisonniers du mensonge qu’on leur a imposé sont d’autant plus virulentes et destructrices.
A l’heure où il serait bien nécessaire de préparer le malade à faire le grand saut, de lui permettre de se dissocier de la vie, le médecin l’enfonce au contraire dans l’illusion, ne lui laisse d’autre issue que de maudire ses juges qui refusent obstinément de lui faire justice. Il n’y aura donc que très rarement cette acceptation sereine, explicite, miraculeuse presque qui fait désirer la mort qu’on refusait de voir.
Les dégâts que provoque le refus de la vérité ne sont-ils pas infiniment plus graves, plus irréparables que ceux que causeraient peut-être la franchise ?
Si dans certains cas, c’est le médecin qui refuse la vérité à son patient, dans d’autres, c’est le patient qui ne veut pas savoir la vérité. Pourquoi ? Par peur de la mort, de la réalité du destin à affronter. Refuser la vérité, c’est refuser d’affronter la réalité. Ce sentiment peut être compris très facilement. Tant que l’on ne sait pas, on peut espérer guérir, continuer sa route. En effet, il est très dur de se dire qu’il va falloir tout quitter. Le malade ne perd jamais totalement l’espoir : pensons à tous ceux qui changent de médecin, d’hôpital, vont à l’étranger, à la recherche d’un remède miracle, cherchent une hypothétique solution auprès des " médecines " parallèles. On peut citer à cet égard La Rochefoucauld : " Personne ne peut regarder sa mort ni le soleil en face très longtemps ".
Le patient développe pour supporter l’expérience de la maladie des tactiques qui lui permettent de conserver son moral. " Agir sur le moral, c’est augmenter ses chances de survie. Celui qui n’en a pas se laisse aller et donne place à la maladie. " (Francine Saillant) Le moral, en tant qu’élaboration culturelle à laquelle on accroche l’espoir transmis par les soignants sur le cancer, renvoie à un nouveau mode de vie, celui du combat et de la volonté. Face à la mort, il se pose en bouclier. Un tel discours, face à l’incertitude de la science médicale, dicte qu’il faut vivre. " Vivre au jour le jour, comme le disent soignés et soignants. Vivre aussi l’espoir fondé, mais certes aussi incertain, de la recherche."
J.Bernard s’intéresse de plus près au cas des enfants, pour qui le danger de leur propre mort est une expérience insupportable, car pour eux, du moins jusque plus ou moins 8 ans, la disparition d’un être s’applique essentiellement aux autres. C’est pourquoi il prétend que, pour empêcher la naissance de cette angoisse, non seulement le diagnostic ne doit jamais être révélé à l’enfant (contrairement aux parents, à qui il faut dire la vérité), mais encore que, les chiffres, les résultats d’examens ne doivent jamais tomber en leur possession.
Nous pouvons maintenant étudier les différentes réactions psychologiques que montre le médecin.
Le médecin, on l’a dit doit s’efforcer de dire la vérité d’une manière acceptable. Outre les différents aspects que le médecin doit respecter et qui ont été analysés, la propre attitude du médecin, sa propre faculté d’affronter la maladie mortelle et la mort sont importantes.
On peut dire que le besoin de nier est directement proportionnel chez le patient au besoin du médecin de rejeter la question. Il est en effet difficile d’entraîner le patient dans les étapes douloureuses et pénibles du deuil. Jeanine Pillot compare cette évolution à une " traversée du désert ", à une " entrée dans le tunnel ", qui sera difficile tant pour le soigné que pour le soignant. La propre anxiété du personnel soignant peut l’empêcher de découvrir que le patient, sous un aspect de " porte close ", désire souvent énormément s’entretenir avec un autre être humain. Le mourant est en effet encore capable d’un investissement, d’une créativité, surtout dans le domaine relationnel, et cela n’est possible que si autrui ne se dérobe pas à lui.
Ce n’est que dans la mesure où le médecin, le soignant aura pris le temps d’être lui-même au clair avec ses questions, qu’il pourra lui-même, avec toutes ses limites, être vrai dans la relation avec le malade, et qu’il pourra, sans se dérober, répondre à toutes les attentes du patient, en tant que malade et homme.
Le problème de la vérité, pris dans une acceptation plus large que strictement médical a toujours tenu une place importante dans le discours philosophique. Il serait impossible d’esquisser ici une description de tous les points de vue possibles sur la question. Nous nous contenterons d’un bref aperçu des différentes façons de concevoir la vérité et qui sont le substrat d’un développement plus spécifiquement bioéthique.
En général, le discours philosophique a soutenu la véracité comme un principe moral, une obligation ou une vertu. La véracité tire sa force du support complexe qu’elle fournit à diverses valeurs : le respect d’autrui, le refus de la coercition et de la manipulation, le soutien communautaire, le maintien de la réciprocité dans les relations, le soutien de la valeur de la communication en général, l'élimination des coûts et des difficultés des déceptions, le maintien de la confiance.
Les philosophes ont en général traité la véracité comme une obligation découlant de principes théoriques plus fondamentaux, tels l’utilité, le devoir religieux, le respect des personnes ou de combinaisons de bienfaisance, de fidélité et d’autonomie. John Stuart Mill regardait le fait de dire la vérité comme dicté par des considérations utilitaristes ; W.D. Ross incluait l’honnêteté parmi les devoirs de la fidélité.
Certains lui ont donné un statut plus fondamental : Aristote a décrit le mensonge comme étant " méprisable en soi et coupable ". G.J. Warnock citait la véracité comme une vertu majeure, sur le même pied que la bienfaisance et la justice. Kant a défendu également la vérité et prétendait même qu’il serait mal de mentir à un meurtrier cherchant la cachette de sa future victime.
Tous cependant ne l’ont pas défendue. Henry Sidgwick niait qu’elle puisse servir d’ " axiome moral définitif ", à cause de ses applications variables et des ses nombreuses exceptions. David Nyberg prétendait que des relations de confiance requéraient généralement une gestion adroite du mensonge. Dans certains cas, c’est le mensonge que les philosophes défendent. Platon approuvait les mensonges publics pour le bien de la société et de nombreux philosophes approuvent le mensonge quand la vérité peut causer une souffrance sérieuse.
Jusqu'à la fin du XXème, les philosophes ont souvent considéré la dissimulation de diagnostic fatal de la part d’un médecin comme une exception importante au précepte de véracité. Les moralistes percevaient la relation médecin-patient comme orientée vers la thérapie, l’apaisement et la suppression de la souffrance.
L’analyse de la vérité que fait C.Bruaire est marquée par cette dimension de la souffrance. Selon lui, " il est impossible de se réfugier dans l’attitude indécise du cas pour cas, selon laquelle chacun décidera simplement en présence des situations individuelles, réprouvant l’abstraction de règles générales . (...) la vérité supprime notre droit naturel à l’espoir, dans la vie continuée et provoque la désespérance. Il en résulte que le médecin n’a pas le droit de dire cette vérité, dans toute la mesure où il usurpe le droit d’aller jusqu’au terme dans l’incertitude de son moment, pour réduire le droit à la mort au droit au suicide et incliner à user de ce droit. (...) La vérité qui ne peut être reçue n’est pas à dire : elle perd ses droits quand elle s’identifie à l’insupportable fatalité "
Ainsi, dire la vérité, de façon pronostique, empêche le patient d’aller jusqu’au bout de sa vie, de vivre sa mort (droit de mourir) ; car il peut anticiper cette mort, en voulant éviter les souffrances la précédant (droit au suicide).
De plus, la vérité dite au patient entraîne pour le médecin l’obligation d’aller au bout du processus engagé, de refuser de laisser le malade assumer seul cette vérité, ce qui est utilisé par certains pour légitimer l’euthanasie. Selon Hirsch, cette conception de la révélation de la vérité et de ses conséquences est erronée. En effet, il voit là " l’expression flagrante de cette incapacité de consacrer ou même de consentir à l’homme, à son expérience existentielle cette part de réflexion qui humanise et définit les traits du visage de notre humanité. Renoncer au risque de concevoir les conditions intangibles, inaliénables qui préservent le devenir de notre humanité. C’est en des termes d’une telle acuité que se situe de toute évidence ce qui fait de notre refus de l’euthanasie un engagement ontologique, une exigence morale impérative. Il ne s’agit plus là de décider selon nos simples désirs, en vue d’un apaisement individualiste conjoncturel. Nous sommes chargés d’une responsabilité à l’égard de la condition humaine ! C’est au quotidien, par une lente élaboration, une maturation , que la vérité se révèle et se dévoile comme l’expression ultime et intime de ce qui nous est humain. Il s’agit de respecter l’homme en le reconnaissant dans sa vérité. Dès lors nous voilà bien éloignés de toutes ces prétentions aux vérités d’ordre médical, qu’elles soient diagnostiques ou pronostiques. A toutes ces tentations de prononcer la sentence, le jugement en tuant simultanément l’homme à qui l’on retire toute possibilité de devenir. Seule m’importe la vérité d’un projet, d’un avenir encore possible de l’homme à travers son humanité. "
Cet argument de la souffrance du patient suite à l’annonce du diagnostic n’est donc pas un argument de poids. Il y a en effet toute la dynamique des projets encore possibles du patient, même si l’espoir de guérir est anéanti. La psychologie du mourant nous rappelle également que cette période de souffrance, de douleur n’est pas la dernière ; elle sera en effet suivie par une période d’acceptation.
Voyons donc quels sont les arguments sérieux en faveur de la révélation de la vérité.
Le respect de l'autonomie du malade.
"Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira"(Jean 8 : 32)
· La relation médecin-patient nécessite un minimum d'altruisme, d'intérêt porté à l'autre différent de soi; altruisme qui est la manifestation du respect porté à autrui, indispensable à la dignité de l'autre. Cet altruisme est indispensable pour éviter de faire des choix en lieu et place du patient. Comment tenir compte autrement de ses convictions religieuses, de son profil émotionnel, intellectuel, de ses déterminants culturels, de ses aspirations ? Il faut donc laisser le malade s’exprimer, le laisser autonome.
Le médecin a de nombreuses responsabilités envers son patient, mais il ne peut se substituer à lui et agir en ignorant la personnalité de son malade, en opérant ou en imposant des choix à sa place. Cette autonomie s'exprime pleinement dans le concept de " consentement libre et éclairé "
Priver le malade de sa vérité, c'est l'empêcher de mener sa vie comme il le voudrait, notamment pour le choix ou la poursuite des traitements.
Informer le patient lui permet de rester un "sujet". Ne pas le faire, c'est le déposséder de son corps, de sa vie, en faire un "objet de soins". Cette autonomie n’est cependant pas effective en réalité : la maladie tend à infantiliser le patient, phénomène accentué par le paternalisme médical ou familial qui ne demande qu'à s'exprimer. La relation paternaliste consiste en un glissement du savoir au pouvoir de la part du médecin, où ce dernier devient symboliquement le père qui sait ce qui est bon pour son enfant, n'hésitant pas à lui cacher la vérité. Mais dans une telle relation, comment peut se déployer le respect, quand le médecin ne veut pas connaître le désir ou pas de savoir du patient ?
A cette relation paternaliste, il convient d'en substituer une autre, appelée relation adulte-adulte, où le malade dispose selon son bon vouloir du savoir du médecin, afin de prendre les bonnes décisions concernant sa vie, sa santé et sa mort. Médecin et malade sont ici deux adultes, tous deux capables de faire face à la souffrance, au émotions intenses, au deuil. Le savoir ne glisse plus vers le pouvoir, mais vers l'impouvoir, l'accompagnement.
Ainsi, lutter contre la maladie exige de lutter contre cette infantilisation pour redonner des forces au malade. Comment ? En fournissant au malade les données nécessaires pour qu'il maîtrise la situation.
Selon E.Hirsch, " une éthique du respect, de l’humilité, de la mesure, de la bonne et rigoureuse distance s’impose au médecin, qui ne doit pas tenter de substituer sa propre conception d’une vérité à l’équilibre précaire et provisoire d’un savoir dont seul le malade, dans son intimité détient l’appréciation des données et des enjeux. Le médecin doit accepter la vérité de l’autre. "
· Les enjeux de cette autonomie sont importants : il est en effet vital de ne pas empêcher le malade de régler après lui tout ce qui lui paraît commander l'intérêt des siens et de prendre, quand sa vie est en péril, les mesures que commandent ses convictions religieuses.Derrière la question "combien de temps me reste-t-il à vivre ?" peuvent se profiler en effet d'autres interrogations telles que "Aurai-je le temps de régler mes affaires ?" "Que vont devenir les miens ?". Elisabeth Kübler-Ross parle à ce titre d'"Unfinished Business". Pour les chrétiens, la notion de pardon, de réconciliation avec ses proches, mais aussi avec Dieu est capitale, tout comme elle peut l’être pour les non-chrétiens. La question "Comment vais-je mourir ?" est aussi sous-entendue. Il est important de parler de cela avec le malade, d'envisager des solutions avec l'aide éventuellement d'une équipe qualifiée. (soins palliatifs, assistantes sociales, psychologue, prêtre, ...)
· N'oublions pas non plus que respecter le malade, c'est aussi le respecter dans son refus de savoir, qu'il soit temporaire ou définitif. (Right not to know) Ce qu'il faut dire au malade, c'est à lui de nous le dire, c'est à nous de lui demander.Il est vrai que demander au malade si il veut être mis au courant, c'est déjà en soi une forme de révélation, qui doit être faite délicatement, en lui tendant par exemple des perches : "Comment comprenez-vous ce qui vous arrive ?" ou "Aimeriez-vous me poser des questions ?"
Respecter l'autonomie du malade, c'est respecter le rythme auquel il peut ou veut apprendre sa vérité, qui n'est pas celle du médecin. La maxime juridique "la vérité, rien que la vérité, toute la vérité" n'est plus d'application ici. Pour les soignants, il vaudrait mieux employer "répondre à toute question , et rien qu'à la question", le malade décidant lui-même jusqu'où il veut aller, parfois après suggestion de la part du médecin, si il devient urgent de se poser certaines questions.
Comme le souligne Soeur Léontine, les accompagnants "ne peuvent pas forcer l'entrée du vécu personnel du malade : la clé se trouve, avec raison, à l'intérieur. Il faut cependant rester vigilant, car tôt ou tard le malade donnera un signal discret et entrouvrira la porte. A ce moment, la personne interpellée devra avoir le courage de répondre à cette invitation et de rejoindre avec précaution le malade sur son chemin de vérité." Comme le disait déjà Hippocrate : "la vie est brève, l'art long à acquérir, le moment propice fugitif, l'expérience personnelle incertaine, la décision difficile."
Le maintien d'une relation de confiance, authentique, réciproquement loyale.
Face au malade, il ne s'agit pas simplement de dire ou ne pas dire, mais il faut tout un travail d'accompagnement, comportant obligatoirement l'établissement d'une relation de confiance entre le médecin et le malade. Ce travail d'accompagnement englobe également les soins corporels, le soutien psychologique, la réflexion spirituelle, le soutien de la famille. On ne peut le réduire à la simple révélation.
Pour que cet accompagnement, cette relation soit vrai, il faut que le mensonge en soit exclu. En effet, le refus d'information et l'information mensongère sont toutes deux incompatibles avec la confiance.
Là encore, il faut refuser la conception de personne amoindrie par la maladie, qui ne serait plus digne d'estime. S'il est digne d'estime, on ne peut donc lui mentir.
Pour la confiance mutuelle aussi, l'authenticité est indispensable. Il est difficile pour un malade de remettre son sort entre les mains d'une personne qui lui dissimule quelque chose, ce dont il s'apercevra tôt ou tard.
"Une fin lucide et apaisée est préférable à une mort révoltée; elle est favorisée par une relation honnête - avec le patient comme avec l'entourage - qui témoigne le mieux, jusqu'au bout, de la vie et elle favorise grandement le travail des proches survivants."
La participation à la lutte contre la maladie.
L'information est indispensable pour participer au traitement (même si celui-ci n'a pour but que de pallier à la souffrance), et pour mobiliser ses ressources psychiques.
La possibilité de structurer son expérience.
L'information vraie permet au malade de sortir du brouillard, de l'incohérence dans lequel la dissimulation l'avait plongé. Il peut enfin reconstituer les morceaux du puzzle permettant de comprendre ce qu'il est en train de vivre. Ce faisant, il peut jeter un regard nouveau sur son existence, se questionner sur son sens et celui de la maladie. Cela peut l'amener vers un cheminement spirituel positif.
Le malade est le premier concerné
Il faut considérer le malade comme étant au centre du système de soins, et non pas ses proches, le médecin ou la médecine.
La conception de la maladie en tant que phénomène amoindrissant le malade, n'en faisant plus un interlocuteur valable est bien ancrée et porte les médecins à se rabattre, par facilité, sur la famille.
Il faut cependant renverser les tendances et affirmer que seul le malade est et reste le partenaire de l'intervention médicale. L'article 33 laisse là une ouverture aux médecins, qui s'y engouffrent trop facilement, nonobstant le secret médical envers des tiers, le détournant même de son but de protection, en l'appliquant à l'encontre du malade.
Rien ne devrait être dit sans l'accord du malade, en son absence ou hors des circuits de communication déterminés avec celui-ci et cela en raison du respect du au malade.
Le premier objectif est l'intérêt du malade
Comme nous l'avons vu dans le chapitre consacré au point de vue juridique et déontologique, ce que le médecin doit toujours garder comme objectif, c'est l'intérêt du patient. Il est normal que celui-ci se pose des questions. Il est par contre anormal que le médecin n'y réponde pas, car ce mutisme est incompatible avec l'établissement d'une relation de confiance. Réciproquement, la relation ne se construit pas non plus par des réponses crues aux questions, car certaines réponses peuvent être nuisibles au patient et doivent être atténuées ou différées (On appelle cela l' " exception thérapeutique "). De plus, même dans une relation où la communication est parfaite, certains malades ne posent pas toutes les questions, par timidité, par maladresse ou parce qu'ils n'en mesurent pas les enjeux de certaines questions.
L'attitude du médecin sera donc :
- être ouvert à toute question.
- être attentif à la personnalité du malade.
- suggérer certaines interrogations.
Remarquons que les intérêts du patient sont intriqués et parfois contradictoires. Ainsi l'intérêt immédiat peut interférer avec l'intérêt à long terme : une nouvelle traumatisante peut être l'origine d'un ressaisissement du malade, l'aidant à aborder les épreuves et à les surmonter.
Il faut distinguer également dans le cas nous intéressant l'intérêt de voir sa vie prolongée au maximum, mais aussi celui de voir sa qualité de vie conservée à un niveau acceptable.
On peut également signaler les écarts existant entre l'intérêt personnel et l'intérêt social; entre l'intérêt organique et l'intérêt psychologique.
Encore une fois, il faut rappeler que seul le malade peut nous dire quels sont ses intérêts et le médecin doit éviter la projection des propres intérêts sur son patient
" La dernière chose qu’on trouve en faisant un ouvrage est de saisir celle qu’il faut mettre la première "
PASCAL
Nous pensons qu’il est souhaitable au vu des différents domaines abordés de prendre pour horizon le choix de la vérité, ce qui déterminera assez clairement les diverses stratégie du " comment ".
A propos du point de vue scientifique, les progrès thérapeutiques peuvent interférer avec le problème de la vérité. L’évolution des traitements peut inciter le médecin à dire la vérité sans effacer l’importance des autres facteurs. La technique occupe une place croissante, pour le diagnostic, comme pour le traitement des maladies ou handicaps. Cette évolution a d’abord été considérée comme un progrès n’appelant aucune réserve. Elle commence à constituer un envahissement préoccupant. Images, tests biologiques, thérapeutiques nouvelles occupent le domaine médical au détriment d’autres composantes. Ils apportent une réponse souvent simpliste, qui devient automatique, systématique et ne laisse que peu de place aux facteurs personnels. Cette technique est à la fois séduisante et inquiétante, car elle laisse croire que le malade n’est qu’un automate qu’elle va réparer. Il n’est pas question de l’empêcher, il faut plutôt l’équilibrer.
Au niveau juridique, le droit du malade à l’information est reconnu par la loi, le code de déontologie médicale et la jurisprudence de la Cours de Cassation. Il est précisé par différents textes. Ce droit concerne les informations orales ou écrites que doit recevoir une personne, notamment pour donner son consentement libre et éclairé à un acte médical. Il concerne aussi les données écrites, graphiques, chiffrées contenues dans son dossier médical. Il précise les conditions qui doivent garantir le secret médical institué, rappelons-le, pour protéger la personne malade.
Nous devons reprendre à présent un des points majeurs du problème, la psychologie.
Au niveau du " Comment ? ", deux auteurs nous interpellent par leur propos : Kübler-Ross et le Dr Choteau. La première insiste sur le fait que le médecin doit promouvoir l’espoir du malade. Il doit s’efforcer à laisser une continuité dans la vie avant et après qu’il ne sache la vérité. En agissant de la sorte, la relation de confiance entre le médecin et le patient sera conservée. Le Dr Choteau insiste sur deux aspects essentiels de la relation médecin-patient : le savoir et le savoir-être. Le savoir qui englobe les connaissances médicales et psycho-sociales, incite le médecin à être attentif aux aspects sociaux et culturels propres au patient. Le langage, base de la communication, doit être adapté en prenant garde au système de représentations du malade. A ce propos, le médecin peut choisir de nommer, dire ou exprimer la maladie. Le savoir-être, qui exige une réflexion en commun, est essentiel dans l’optique d’une bonne communication. Il faut également rappeler la voie intéressante du Dr Schaerer, qui nous propose de laisser parler le patient de sa mort, pour éviter que la révélation ne prenne des allures de condamnation.
En ce qui concerne " qui ? ", en fonction de ce qu’il souhaite savoir, le malade choisira son interlocuteur ; le médecin reste le premier concerné, mais les infirmières et les aides-soignantes sont mises à contribution. On comprend donc l’importance d’une bonne coopération.
A propos du " A qui ? ", le patient reste au centre du problème. Le médecin doit s’efforcer de faire une distinction entre les différents " types " de patients : ceux qui ne veulent pas savoir, ceux qui veulent savoir pour être sûrs qu’ils n’ont rien et ceux qui veulent vraiment savoir. Le rôle de la famille est essentiel et le médecin doit absolument éviter que s’installe un mur de silence entre le patient et sa famille.
Pour terminer cette dimension psychologique, rappelons que l’annonce de la vérité suscite des réactions tant chez les malades que chez les médecins. Pour le patient, la vérité est source soit de soulagement, soit de dégradation psychologique et ce, en fonction de la personnalité du patient et de son style de vie antérieure. Pour le médecin, les réactions varient en fonction de l’expérience accumulée et de ses propres facultés d’affronter la maladie terminale.
Enfin, récapitulons les points essentiels de l’aspect éthique. Il est important de dépasser une approche trop dramatique de l’approche de la vérité, en reconnaissant la possibilité de projet pour le patient. Le maintien de la dignité du patient exige le respect de son autonomie, qui a pour enjeu la réalisation des " unfinished business ", et des réconciliations. Il faut également respecter le refus de savoir du patient. Ajoutons que le refus de l’information et le mensonge sont tous deux incompatibles avec le maintien d’une relation de confiance entre médecin et patient. Cette information est également un élément important pour permettre la lutte contre la maladie, la possibilité de structurer son expérience. Insistons encore sur le fait que le malade est le premier concerné et est au centre du système de santé. Le premier objectif doit rester l’intérêt du malade.
Nous pouvons dégager ce qui se cache finalement derrière le mot VERITE.
Ce mot ne réduit pas à donner des informations médicales strictes sur le diagnostic ou le pronostic de la maladie. L’angoisse de la maladie grave ou de la mort ne peut être soulagé par un " dire " qui ressemblerait à un bulletin de santé. En effet, réduire la vérité au diagnostic, c’est réduire le malade à sa maladie, c’est l’enterrer avant qu’il ne soit mort. Le corps soignant doit choisir ce qui est le mieux pour chacun d’eux, à chaque moment, afin de permettre à chacun, à son rythme, et suivant son chemin propre, de rester un être humain vivant, un être de relation avec ses proches et ceux qui le soignent, un être capable de s’accomplir jusqu'à la fin de sa vie. Il s’agit bien davantage d’entretenir une relation de vérité, c’est-à-dire une relation de confiance entre le patient et le médecin.
Il faut donc aborder la question de la vérité dans un cadre plus large, que celui de dire ou de ne pas dire.
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AUTRES REFERENCES INTERESSANTES (vos suggestions sont les bienvenues)
- SCHAERER R., "Que faire en cas de demande d'euthanasie", Rev. Prat. MG, vol 11, n°398, 12/11/1997 , pp 16-19
- EVENT G., "Dire ou ne pas dire la vérité", Champ Psychosomatique, n°13, 1998, pp 49-57
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